Lay By Me.

Lay By Me |x|

« Si tu apprenais à la connaître, tu saurais que c’est quelqu’un de bien. »

La porte claqua dans l’entrée. Vitaly ne cilla pas, jetant un regard peiné vers la porte. Quelque chose de dérangeant s’insinua en lui, un malaise peut-être, un dégoût aussi. Il tourna doucement la tête vers le bouquet qu’il avait ramené du fleuriste sur son chemin retour. Jake l’avait vu. Ou plutôt, il avait senti l’odeur sucrée des lys blancs et des roses rouges.  Il ne reviendrait pas de la semaine, comme à chaque fois qu’Ava Taylor se mettait en travers d’eux. Comme à chaque fois qu’il avait l’impression que son père avait oublié celle qui aurait dû être sa seule et unique femme.

Soleil était morte il y avait de cela des années. Jake n’avait jamais accepté sa disparition. Vitaly avait fini par s’y habituer, mais la solitude lui pesait. Il savait aussi que certains lycanthropes l’avaient regardé dès le lendemain, étonné peut-être qu’il ne soit pas aussi triste qu’Héphaïstos le jour où on écorcha sa femme, ou tout simplement aussi perdu que Wolfgang à la mort de leur mère.

Est-ce qu’il l’avait aimé ? Certainement. Est-ce qu’il aimait Ava Taylor ? Ses yeux vairons retombèrent sur le bouquet de fleurs.

Il n’y avait qu’un fou amoureux pour se faire mal à s’enticher de fleurs éphémères… Il avait toujours été comme ça, fasciné par le vivant, par les pousses fragiles. Il était herboriste, médecin, biologiste. N’y avait-il pas plus étonnant qu’un cœur qui bat ? Qu’un souffle qui s’épuise au cours d’un baiser trop long ? Est-ce qu’il aimait l’amour, ou est-ce qu’il aimait aimer ? Vitaly pensa à Ava Taylor. Il était certain de l’aimer.

Le loup attrapa le bouquet et sortit à son tour de l’appartement.


La porte de l’appartement d’Ava Taylor lui semblait soudainement infranchissable. Pour ne pas dire, effrayante. Vitaly remit sa chemise noire en place, se sentant l’air un peu bête du haut de ses deux millénaires, incapable de toquer à la porte. Il y avait donc des choses qui ne changeaient pas.
Il se tordit légèrement les doigts puis finalement se lança. Ce n’était pas la première fois que Vitaly Orlov faisait une surprise à la jeune femme. Ils s’entendaient bien, plutôt même très bien, et si ce n’était pour Jarvis, il l’aurait déjà ravi depuis longtemps. Avec Ava, tout était simple, et il n’y avait pas de plus beau soleil dans sa vie que son rire. Même ses colères la rendaient adorables.

C’est avec un sourire un peu idiot qu’il attendit.  La porte grinça en s’ouvrant, dévoilant non pas le visage doux et charmant d’Ava Taylor, mais la barbe mal rasée de Jarvis.

Le sourire de Vitaly se fâna aussitôt et s’il avait été en forme de loup, sa queue se serait coincée dans ses cuisses puissantes.

« A-Ah… Jaaarviiis… Ça vaa... ? Qu'est-ce que... tu fais là ? »

Ses yeux brillants cherchèrent derrière son meilleur ami le visage rassurant de sa sœur. En vain.

Ava était une lueur blanche dans ce monde obscur. L'innocence qui dessinait chacun des traits de son visage prenait rapidement la forme d'un espoir insensé pour quiconque perdu dans la noirceur, tel un phare guidant les marins sur un océan capricieux. La fragilité qui émanait d'elle n'avait d'égale que son aura apaisant. Elle était telle une fleur sous la neige d'un hiver rigoureux lorsque les premiers rayons du printemps pointaient le bout de leur nez. C'était exactement ce dont Jarvis avait besoin depuis sa transformation en Loup-garou. Il ne supportait plus la présence des gens. Il se mettait rapidement en boule, la rage surgissant sans qu'il ne puisse la contrôler. La bête grondait en son sein. Il n'arrivait plus à vivre. Ses rêves d'une vie paisible et ordinaire malgré des talents de sorciers désormais disparus s'étaient envolés lorsque les crocs de ce fils de pute s'était refermé sur son cou et la partie haute de son torse.

Déprimé, sa sœur, qui finissait ses études de droit, lui avait permis de loger sur son canapé. Entre deux révisions, elle lui préparait un thé à la camomille qui lui permettait de rester calme. Son regard noir qui n'était que plus obscur depuis l'accident s'apaisait doucement. Il savait qu'elle ajoutait probablement deux, trois ingrédients dont elle avait le secret afin de l'aider à canaliser la bête qui grognait en lui. Il n'y avait qu'avec sa sœur à ses côtés, qu'il était capable de fermer les yeux pour dormir.

Elle le regardait par dessus son bouquin, avachi sur son fauteuil, alors qu'il sentait la colère montait en lui pour aucune raison. Elle eut un sourire qui lui permit de souffler. Il se redressa doucement, s'étirant encore, pour tenter de décontracter son corps qui ne cessait de se durcir.
« Ton corps continue de changer. »
Jarvis grogna. Il ne s'en rendait pas réellement compte. Tout ce qu'il savait, c'était que sa dernière transformation avait été si douloureuse que lorsqu'elle était venue le trouver dans les bois à quelques centaines de kilomètres de Los Angeles, qu'il n'avait pas pu se relever seul. Son corps combattait la bête. Son esprit, aussi. Mais il ne savait pas quand cela s'arrêterait. Et la peur de voir ce combat se perpétuait jusqu'à ce qu'il ne rende son dernier souffle l'effrayait.
« Tu devrais prendre un peu l'air, c'est pas bon de rester enfermer comme ça. On dirait un Loup en ca-. Pardon. »
Elle ne maîtrisait aucune expression, et se plantait assez régulièrement. Mais en plus de se tromper, cette fois, elle mit les deux pieds dans le plat. Un lueur animal traversa son regard. Il prit une profonde inspiration, puis souffla cette dernière, imaginant sortir la bête comme ça. Une idée de sa sœur qui l'aidait un peu. Elle était persuadée que le yoga l'aiderait. Jarvis avait fini par le croire.

Jarvis se rassit, tirant son téléphone de la poche d'un de ses jeans qui traînait sur le canapé. Quinze appels en absences, cinquante texto, et plusieurs messages sur sa messagerie vocale. Des notifications facebook apparaissaient, mais il s'en ficha. Il balança son téléphone sur la table.
« Plus de boxe. Plus de football. Plus de pompier. »
Il s'avachit sur le canapé, attrapant un livre d'Ava sur les droits internationaux, tandis qu'il entendait :
« Oui, mais tu ne seras plus jamais malade, tu as une super force et de super sens. » Puis, elle ajouta, voyant que cela ne lui faisait ni chaud, ni froid : « Tu pourras me protéger contre tout, comme ça. »
L'aigreur de Jarvis se dissipa comme un ciel gris après une forte tempête pour laisser placec à un soleil resplendissant. Il sourit.
« T'es conne. »
Elle sourit à son tour.

A ce moment, quelqu'un toqua. Jarvis fit signe à sa sœur qu'il s'y rendait. En deux, trois enjambés, il fut à la porte qu'il ouvrit, sans se soucier de sa tenue (un caleçon et un tee-shirt sur le dos).

Dans l'encadrement de la porte, la silhouette de Vitaly apparut alors. Un léger sourire vint se loger sur les lèvres de Jarvis avant que ce dernier ne voit les fleurs.
« A-Ah… Jaaarviiis… Ça vaa... ? Qu'est-ce que... tu fais là ? »
Le jeune loup se figea. Son meilleur ami tenait un bouquet de fleurs. Il se tenait sur le pas de la porte de sa sœur, et... La rage apparut comme un coup de tonnerre dans le creux de son ventre, emportant son cœur dans une course effrénée. Il serra les dents si fort que n'importe quel homme normal se serait probablement pété les dents.
« Tu te fous de ma gueule ? »
L'escalade de la colère.
« T'es sérieux ? Ma sœur ? »
Il souffla, mais il ne parvint pas à se calmer. Sa seule réaction pour mettre fin à cela fut de claquer la porte. Il la claqua si forte qu'elle se dégonda, et elle tomba derrière lui, alors qu'il retournait sur le canapé. Les traits de son visage était déformé par la colère. Il ne parvenait pas à canaliser cette colère que lui même trouvait sur réaliste. Il surréagissait et il ne parvenait pas à se dominer. La bête secouait sa cage dans son thorax avec une rare violence. Ses yeux devenaient ceux d'un lupin.

Ava ferma son livre avec force pour le poser sur la table. Jarvis sursauta, ce qui lui permit de chasser la bête de ses yeux. Elle se leva, pour aller voir qui c'était, et vit Vitaly avec un bouquet de fleurs.

Dans d'autres circonstances, elle aurait probablement bondi de joie. Surtout qu'elle attendait ce moment avec une certaine impatience. Mais, la cause à malchance, ce n'était pas le bon moment. Elle se retint, même si elle lui fit un sourire radieux, tandis que Jarvis s'asseyait dans le canapé, la tête entre ses mains.
« Entre. C'est juste la venue de la pleine Lune qui le met dans cet état. Enfin, tu dois déjà le savoir, je pense. »
Elle sourit, haussant les épaules de sa manière innocente, ne sachant pas trop quoi faire devant Vitaly maintenant qu'il semblait s'être décider à lui montrer de façon officiel ce qu'il avait tenté de lui faire comprendre jusqu'à maintenant de façon détournée. Mais comme toute femme qui se respecte, elle voulait qu'il prenne... Le taureau par les cornes.

« Tu te fous de ma gueule ? »
Peut-être, un peu. Vitaly se mordit l’intérieur de la joue. Il avait déconné.
« T'es sérieux ? Ma sœur ? »
« Jarvis... »

Sa voix se tût alors que la porte claquait devant son nez. Il eut un sursaut en la voyant chanceler vers lui, dégonder l’espace d’un moment. Jonglant d’une main pour la repousser calmement à son emplacement, dans l’autre le bouquet de fleurs qu’il se sentait horriblement bête d’avoir apporté.

Quand Ava arriva, Vitaly raccrochait d’un petit air maladroit la porte à ses gonds. Il adressa à la jeune femme un air un peu lamentable. Il avait voulu faire les choses bien, contrairement à ce qu’il avait pu être et faire dans le passé. Maintenant que sa «surprise» était foutue, et que Jarvis était en colère, il regrettait.

Il regrettait horriblement. Jake avait peut-être raison. Peut-être qu’il n’était pas fait pour aimer, tout simplement ? Jake avait l’habitude d’être impitoyable dans ses propos. Depuis la mort de Lheena et la disparition de Kheeva, les choses s’étaient envenimmées. Il lui reprochait aussi « sa malédiction » vis à vis de l’amour.

Est-ce qu’il était maudit ?

Le sourire d’Ava effaça sa peine. Elle était si jolie, si radieuse malgré cette auréole sombre de cheveux. Il se mordit doucement la lèvre, entrant docilement comme elle l’invitait.

« Entre. C'est juste la venue de la pleine Lune qui le met dans cet état. Enfin, tu dois déjà le savoir, je pense. »

« Désolé pour la porte, Ava... »

Il la suivit, de quelques pas, avant de lui tendre le bouquet qui avait été épargné par la porte et par la pluie. Il n’avait plus le beau discours qui allait avec.

« J’aurais préféré que... Ça se passe autrement. » Ses yeux vairons tombèrent sur Jarvis. Vitaly était toujours planté au milieu du couloir, face à la cuisine, le petit salon à sa droite. Son meilleur ami et Ava dans son champ de vision. Il se mordit plus fort l’intérieur de la joue, inspira profondément et reprit, plus sincère : « J’suis désolé Jarvis... J’pensais t’en parler après que... Tu vois, avec Ava, on... Je... Je... » Il la regardait du coin de l’oeil, tout en se méfiant des réactions de l’autre loup. Trouver les bons mots. Fut une époque, il suffisait d’enlever sa partenaire ou de la conquérir en massacrant un peuple entier. Les choses changeaient. « Jarvis, je venais déjà la voir avant même que tu te fasses mordre. Et tu sais que je suis sérieux avec ce genre de chose. J'suis sérieux pour Ava. »

C’était sortit. Bien sûr ils n’avaient rien fait. Vitaly était respectueux et laissait quelque peu le temps aux choses pour se faire. Si ce n’est quelques regards, quelques caresses superficielles et brèves, il n’avait eu l’audace de rien. Vitaly aimait la séduction.
C’était comme s’il aimait davantage aimer qu’être aimé.

Ava ne disait rien, mais son regard était tout euphorique. Elle porta son regard sur son frère, puis à nouveau sur Vitaly pour qu'il comprenne qu'elle ne s'extasiait pas de son geste à cause de la présence de Jarvis. Mais elle n'en pensait visiblement pas moins. Elle préférait juste garder ça sous silence pour remettre à plus tard ce qui se serait probablement passé. Dieu Merci, Jarvis ne lisait pas dans ces pensées. Elle s'approcha de sa porte, passant à côté de Vitaly qu'elle effleura avec douceur, avant de poser sa main sur le bois. Une incantation murmurée, et l'on entendit un clic provenant de la porte avec un petit effet de lumière autours de la main d'Ava. Elle se retourna pour entendre Vitaly s'excusait auprès de Jarvis concernant sa présence ici. Pas sûr que ce fut la meilleure idée qu'il eut.

Jarvis leva son visage d'entre ses mains pour croiser le regard de Vitaly. Il voulut dire un milliard de choses, mais aucun son ne venait. Il grogna, préférant se lever pour se mettre à faire les cent pas. Ava expliqua :
« C'est bientôt la pleine Lune, et... Il est toujours comme ça, avant. Enfin, les six dernières Lune, il était comme ça. »

A nouveau, Jarvis grogna. Il ne canalisait pas du tout ce don. Son créateur était encore dans la nature. Il ne savait pas si cela avait un effet sur son comportement. Peut-être pourrait-il lui apporter des réponses qu'il ignorait. Peut-être parviendrait-il à l'aider à canaliser sa bête ? Jarvis pensait qu'il avait en lui une bête, un animal, issu de la lignée du Lycan qui l'avait mordu. Il devait forcément y avoir un quelconque lien.  Peut-être devait-il se rendre à ses côtés pour... Non. Il secoua la tête, attrapa son pantalon qu'il mit, chaussa ses pieds et sortit en claquant la porte derrière lui.

Puis, il ne voulait pas en parler avec Vitaly. Une espèce de pudeur ou quelque chose dans ce goût-là, il ne savait pas. A plusieurs reprises, il avait maudit son meilleur ami pour son statut, étant donné qu'il en était lui-même un. Pourquoi ne pouvait-il pas lui faire disparaître ? La bête qui grondait en lui le dissuadait à chaque fois qu'il souhaitait lui envoyer un message. Jarvis sentait son corps et son âme brûlait, mais quelque chose le poussait à garder ça sous silence, comme s'il voulait s'en sortir seul, maîtriser la situation, et à mettre la bête sous son contrôle.

Ava observa quelques instants la porte, avant de soupirer : « C'est long. Je l'aime de tout mon cœur, mais j'arrive à rien. Enfin... J'vais garder mon téléphone à côté. Il va sûrement m'envoyer un message pour me demander de verrouiller la cave dans laquelle il passe ses nuits de pleine Lune. »
Une profonde douleur apparut dans le regard d'Ava, mais elle n'en dit pas un mot. Elle se contenta de finalement sourire, prenant les fleurs des mains de Vitaly pour les mettre dans un pot qu'elle remplit d'eau en claquant des doigts.
« C'est une délicate attention... Quelle est la raison de ta venue ? »

Elle savait, bien sûr. Il avait dit que c'était du sérieux à son encontre, et ça l'avait touché, mais elle n'avait pas souhaité relever, gardant son souffle dans l'attente d'une quelconque réaction de son frère - qui, finalement, n'avait rien fait. Mais là, ils étaient plus que tous les deux... Et Ava raffolait de ce genre de scènes. C'était une grande fan de séries à l'eau de rose, et quand elle n'était pas entrain d'étudier des livres de droits poussiéreux et d'une épaisseur à faire peur à n'importe qui, elle lisait aussi des livres douteux.

Le Loup attendit d’un air un peu penaud quelque chose, une réaction plus forte peut-être qu’un seul grognement. Il avait un peu l’habitude avec Kirill. Son frère, même s’il était doux, était un homme de passion. Plus jeunes, ils s’étaient parfois affrontés. L’instinct reprenait toujours le dessus. Même quand ils ne le voulaient pas, les crocs mordaient. Fort heureusement pour eux, les plaies se refermaient toujours et ne laissaient à jamais que des cicatrices invisibles et indolores.
Les yeux vairons de Vitaly suivirent Jarvis, cherchant une réponse, un mot. Il ne trouva rien. Après tout, il ne faisait rien de mal, pas vrai ? Est-ce que lui aussi il le jurerait ? Même Jake lui refusait ce petit bonheur un peu stupide, un peu fragile. A son âge, il aurait déjà dû abandonner. Il aurait dû revêtir le deuil comme Wolfgang, avec un air inébranlable mais fendillé en dedans. Il avait longtemps été ainsi.
Mais Ava, son sourire, ses yeux, ses cheveux. Tout l’illuminait à l’intérieur. Il rêvait du moment où il pourrait réchauffer son âme à son rire. Il lui suffisait de la voir pour être heureux.

Il le laissa s’échapper sans un mot, blessé qu’il ne lui fasse confiance. Vitaly comprenait. Les choses avaient changé. Jadis, c’aurait été un honneur que d’offrir sa fille à un ami. Il n’y avait qu’à voir Nabor, Vasco et Lapyx. Avec Jarvis, les choses étaient différentes. Le Loup baissa un peu les yeux alors qu’Ava approchait. Il était soudainement plus nerveux, mais ça n’avait pas grand-chose à voir avec son meilleur ami. Plutôt à cause de la pleine lune.

« C'est long. Je l'aime de tout mon cœur, mais j'arrive à rien. Enfin... J'vais garder mon téléphone à côté. Il va sûrement m'envoyer un message pour me demander de verrouiller la cave dans laquelle il passe ses nuits de pleine Lune. »

Il la laissa approcher davantage, guettant à la façon d’un prédateur le moindre de ses mouvements. Si on ne connaissait pas bien Vitaly, on pouvait toujours avoir cette impression de timidité et de pudeur. Le fils de Wolfgang était à l’image de sa mère, d’une férocité presque cruelle derrière un masque de tendresse.

« La lune a cet effet sur beaucoup d’entre nous. » Et bien d’autres effets, nota-t-il alors que ses yeux remontaient, caressant les courbes de la jeune femme. « Il s’y habituera, à force. »

Les années avaient le mérite de forger le caractère, selon Wolfgang. Vitaly n’était pas aussi certain que son père. Il avait un certain âge désormais, et avait traversé les âges sans prendre une seule ride. Tout au plus, son visage était légèrement plus âgé qu’il ne l’était il y avait un millénaire, mais le temps n’était plus leur affaire.

Jarvis savait. Tôt ou tard, il la regarderait s’éteindre. Vitaly aussi. S’il l’aimait, il finirait par la couvrir de terre.

Il posa ses yeux vairons sur elle alors qu’elle lui souriait. N’y avait-il rien de plus beau que la fragile existence des hommes ? Plus beau que la lueur éphémère dans ses yeux ? Il ne voulait plus fermer les yeux, de peur qu’elle ne disparaisse le temps d’un battement de cil.

« C'est une délicate attention... Quelle est la raison de ta venue ? »

Lentement, Vitaly posa sa main sur la table. Il avait cette langueur toute lupine, ce charme irrésistible qui était inhérent à tous les grands prédateurs du monde. Il pencha légèrement la tête sur le côté et un fin sourire un peu charmeur fendit son visage, oubliant très rapidement et l’éphémère existence de la jeune femme mais également son frère aîné. Il n’y avait ici plus que deux êtres que tout attirer, et que rien ne pouvait plus retenir.

Pas même le bon sens.

« Tu as déjà entendu pourquoi je suis là, Ava... » Il était un peu moqueur, mais prenait son temps. Le fait qu’elle n’est pas rugit au moment où il s’était presque déclaré le laissait croire que ses sentiments n’étaient pas tout à fait étrangers aux siens. Il se mordit légèrement la lèvre, un peu timide peut-être, avant de se lancer de nouveau, toujours face à elle, sans oser l’approcher. « La Lune pousse les Loups à chercher la présence de ce qu’ils aiment le plus au monde. Une mère, un père, un frère... » Ses yeux la traversèrent, alors que les mots lui semblaient de plus en plus difficiles à prononcer. Il ne voulait pas lui faire peur, mais il savait aussi qu’Ava était une femme qui savait ce qu’elle voulait. Une femme sérieuse, indépendante et forte. « ...et bien que je sache pourquoi je reviens sans cesse ici, j’aimerais savoir si ta porte me sera toujours ouverte. Si tu m'attendras derrière. »

Les yeux de Vitaly glissèrent quelques secondes sur sa bouche, hésitant sur le moment. Elle avait encore le droit de lui dire non, encore le droit de refuser d’aimer un monstre. D’aimer un homme d’un amour qui ne se finirait jamais dans la tombe, les cercueils de bois n’ayant jamais retenu les fils maudits de Seth.

Ava eut un petit sourire malicieux. Effectivement, elle avait déjà entendu dire ce pourquoi Vitaly était là. Mais elle aurait bien aimé l'entendre une seconde fois. Puis une troisième et une quatrième et... Ava était une femme qui aimait ressentir, qui aimait vibrer, qui croyait aux comtes de fées et aux films à l'eau de rose. Elle était persuadée que l'amour était la chose la plus merveilleuse qui soit, et c'était l'une des principales raisons qui faisait qu'elle aimait tout ce qui en découlait. Les petites attentions, les petits regards gênés, les gestes délicats et doux, le regard qui se perd sur le corps de l'autre, les rendez-vous galants, et tout le reste. Elle aimait tous ces petits moments et elle comptait bien le lui faire comprendre d'une façon ou d'une autre. Et elle avait de la réserve. Elle n'était pas lycane, mais sur ce domaine-là, elle était infatigable.

Vitaly lui expliqua que la Lune agissait bien des manières sur les Loups, notamment sur leur relation avec les autres. Elle eut un sourire comprenant très bien où il allait, mais ne releva pas, préférant lui laisser son mystère, tout en se jurant qu'elle le cuisinerait plus tard pour qu'il se lâche sur ses sentiments avec elle. Peu importe le temps que ça lui prendrait, il serait aussi doux qu'un agneau quand elle en aurait fini avec lui. Enfin, si un jour, elle en aurait fini avec lui. Il était bien trop chou pour qu'elle le laisse à une autre. Et puis, il avait ce charme-là... Et ses yeux ! Ses yeux ! Elle pourrait n'avoir que ça a contempler qu'elle se sentirait toujours aussi chanceuse que ce qu'elle pensait d'elle.

Elle s'approcha légèrement, comme pour lui donner le feu vert. Sa demande informulée pour l'embrasser avait été comprise par Ava. Elle ne comptait pas faire le premier pas, pensant qu'il s'agissait là uniquement que c'était à l'homme de le faire. Son regard pétillait de mille feux, et son sourire était une invitation.

Ava était toute électrique. Son aura semblait changer, comme sucrée. Elle rayonnait toujours autant, mais c'était bien plus chaleureux qu'avant. Son frère n'était déjà plus dans ses pensées, en cet instant. Il n'y avait que lui, et elle. Mais surtout lui qui comptait. Elle se jetait corps et âme dans le bleu des yeux de Vitaly.