LIVRE I :
L'Ascension du Mal.
L’endroit ressemblait, à s’y méprendre, à une crypte, ou quelque chose dans ce goût-là. D'immenses statues de pierres encapuchonnées, tenant fermement une épée, se dressaient contre les piliers, allant jusqu’à caresser la voûte de l’édifice. Des bougies allumées étaient positionnées ici et là, sur des chandeliers en fer forgé, éclairant la pièce d’une manière quelque peu lugubre en raison de son environnement austère et inquiétant.
Une dizaine d’hommes encapuchonnés dans de longue robe carmine formaient un cercle au centre de la pièce.
Le sol était fait de pierres brutes, tout comme les murs, et les marches au fond de la pièce qui menait vers le promontoire de l’endroit. Dessus, on pouvait voir un grand cercueil de pierres surélevé par des gargouilles du même type. Posés dessus, on apercevait diverses fioles, accompagnées d’une dague sacrificielle et d’une craie. Un homme lui aussi encapuchonné semblait attendre quelque chose, mais un silence de mort régnait dans la crypte.
Un vitrail magnifique se dessinait sur les hauteurs représentant le Saint Graal dans les mains de Jésus Christ. Les couleurs sombres étaient dominantes, bien trop sombres pour que cela n’ait aucune signification. L’endroit dégageait quelque chose de macabre, de profondément ténébreux. Une tension palpable, à couper au couteau, semblait régner dans la pièce.
Tout à coup, les lourdes portes de bois s’ouvrirent comme si elles avaient été enfoncées. Quatre hommes apparurent. Trois étaient vêtus comme les hommes déjà présents dans la pièce, tandis que le quatrième portait un qamis blanc. Ce dernier était maintenu fermement par deux des trois hommes, qui essayaient de le contenir, l’empêchant ainsi de se débattre réellement. Il avait la peau sombre, la barbe blanche et n’avait aucun cheveux. Son regard était haineux, mais il ne pouvait parler à cause du bâillon qu’il avait sur ses lèvres. Le troisième avait retiré sa capuche. Il avait le crâne dégarni et les cheveux d’un blanc immaculé. Une petite barbe bien taillée ornait sa face atteinte par les ravages du temps, mais il arborait une expression victorieuse.
Les hommes présents dans la crypte se tournèrent comme un seul homme vers les nouveaux arrivants.
« Nous l’avons, maître. »L’homme qui se tenait sur le promontoire dégagea à son tour ces cheveux. Il semblait jeune, mais il donnait l’impression d’être indifférent au passage du temps. Quelque chose dans son regard, dans son expression, trahissait une vie beaucoup plus longue que celle qu’on aurait pu lui donner au premier coup d’œil. Il était blond, les yeux d’un bleu profond. Son sourire faisait froid dans le dos, et une vive étincelle malsaine brillait au fond de ses iris.
L’homme en qamis sembla redoubler d’efforts lorsqu’il aperçut le visage du «
maître ». Totalement hors de contrôle, le meneur se retourna et traça avec une de ses mains un cercle de lumière violet devant lui avant de placer sa main dedans. Ce fut comme si l’homme était soumis à une violente décharge électrique. Ses yeux se révulsèrent, tandis que son corps se tétanisait. Le maléfice se stoppa, et l’homme sembla perdre conscience.
Le cercle se dispersa dans la pièce afin de laisser place aux nouveaux arrivants. Ils s’avancèrent vers le promontoire. Le maître gifla l’homme lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur pour le réveiller avant de lui retirer le tissu qu’ils lui avaient fourré dans la bouche. Il ouvrit les yeux, l’air hagard.
« Toi… Traître… »Un rire s’échappa de ses lèvres, tandis que le maître se retournait pour saisir la craie. Il traça un pentacle sur la surface du cercueil, avant de verser de son sang dessus grâce à la dague, qu’il reposa non loin de lui.
« Pourquoi… ? Pourquoi fais-tu ça ? » Murmura l’homme en qamis.
« Pourquoi te répondrais-je ? Tu ne seras plus là pour le voir. »Une lueur de rage saisit de nouveau l’homme. Le maître saisit la dague sacrificielle et coupa le qamis afin de dégager son torse.
« Tu peux me tuer, d’autres continueront le combat. »« J’en ai rien à foutre, être de lumière. C’est ton cœur que je veux. »Du bout des lèvres, il murmura quelque chose qui rendit sa main vaporeuse. Puis, il fit pénétrer sa main dans le torse de l’homme. Ce dernier se mordit la lèvre, réprimant des cries de douleurs, lorsqu’il sentit la main du maître sur son cœur. Des gouttes de sueur perlèrent aussitôt sur son visage. Le maître le regardait avec un sourire mauvais. Il prenait un certain plaisir à lui infliger cette souffrance.
Lorsqu’il referma sa main sur le palpitant de l’homme, ce dernier ne put retenir un cri. La douleur était insoutenable. Voyant la fin arrivée, il se mit à réciter la
shahada. A peine eut-il le temps de finir, que le maître tirait sa main vers lui afin de lui sortir le cœur du torse. L’homme poussa un cri de douleur si violent et si intense, que certains parmi l’assemblée tressaillirent. Lorsque le cœur quitta son torse, sa tête tomba sur son torse, et les hommes le lâchèrent. Le corps tomba au sol, glissant de quelques marches, répandant son sang vermeil sur la pierre qui semblait boire le liquide comme un assoiffé.
Tandis que le maître levait le cœur à la vue de tous, les hommes se réunirent à nouveau en cercle au milieu de la pièce. Les deux encapuchonnés se mirent sur le côté avec le dégarni. Il posa ensuite le cœur au centre du pentacle, ce qui eut pour effet d’absorber toute la lumière environnante avant de la recracher d’un seul coup. Les bougies se rallumèrent mais cette fois, la lumière était d’un vert lugubre. Le cercle d’hommes mit alors genou à terre, et se mirent à psalmodier d’antiques chants dont on ne comprenait pas la langue. Probablement une langue démoniaque, ou quelque chose dans ce goût-là, au vue des sons utilisés.
Le maître, quant à lui, leva ses mains à hauteur d’épaules, paumes tournés vers le plafond. De ses lèvres, une incantation sortit, surpassant à peine le bruit des chants psalmodiques des hommes derrière-lui.
De ces hommes, sur le sol, jaillit un trait de lumières violines qui se dirigeait vers le maître, traçant alors des runes anciennes et compliquées. Le maître, qui se trouvait dessus, sembla tout à coup luire d’une lueur violette, comme si les hommes lui apportaient une partie de leurs pouvoirs afin d’amplifier les siens.
« Sors de ton exil, créature noire. Sors de cette contrainte, et regagne ta liberté. Porteur de chaos, destructeur de lumière, viens à nous, et bats-toi pour nous, comme tu le fis jadis ! »La pièce se mit à vibrer. Toute la structure semblait sous l’effet d’un tremblement de terre. De la poussière tomba du plafond, tandis que le grand cercueil consuma le cœur de l’être de lumière, le faisant disparaître dans une volute dorée. Une lueur violine filtra alors de l’intérieur du cercueil.
Le couvercle s’anima dans un bruit de pierres, avant de laisser voir apparaître une main sombre, pourvue de griffes noires. Les hommes continuèrent de psalmodier, mais chez certains, un sentiment de peur était perceptible dans leur voix. Le maître sourit, tandis que la chose sortait du cercueil.
C’était une créature pour le moins étrange. Il était grand, sombre de peau, avec d’imposantes cornes de bouc sur la tête. Il avait le crâne chauve, et d’étranges tatouages incandescents y étaient dessinés. Une petite flamme brûlait sur son front. Il portait une espèce de grande cape noire dans laquelle il était emmitouflé. Son sourire victorieux était étrange.
Il observa le maître un instant, avant de balayer la pièce du regard. Le maître rompit alors le silence :
« Bon retour parmi nous, Léonard. »Le dénommé Léonard tourna son visage vers l’homme qui venait de l’invoquer. Le toisant du regard, il lui intima de se présenter.
« Parle. Présente-toi. »L’homme sourit, et lui répondit, tout en s’inclinant gracieusement.
« Je suis Mordred, et je souhaite libérer Morgane. » Une lueur brilla dans le regard du démon, mais il ne dit rien, signalant ainsi qu’il attendait d’en savoir un peu plus sur ce qui le motivait. Mordred continua simplement :
« J’ai besoin que tu honores ton engagement envers ma mère, il y a des siècles, afin de mener à bien son grand projet. »Léonard sourit, ou tout du moins, semblait-il sourire en dévoilant ses dents aussi fines et acérées que celle d’un cerbère.
« Puis-je me repaître d’eux ? » Demanda-t-il, l’air enjoué et intéressé par la proposition de Mordred. Ce dernier eut un sourire carnassier, et il répondit en levant la main vers l’antichambre de la crypte qui s’ouvrit à la voler :
« Non, mais d'eux, oui. »Par l’embrasure de la porte, on pouvait voir des moines, vêtus de toges brunes, le crâne chauve. La terreur se lisait sur chacun de leur visage lorsqu’ils virent la bête qui enjambait avec une élégance macabre la porte de sa prison. L’instant d’après, hémoglobine et hurlements furent les seules choses à sortir de l’antichambre.